Il était une fois un petit sapin qui vivait dans la montagne avec son papa, sa maman, ses frères et sœurs.
C’était au début de l’hiver. La neige recouvrait tout et Sylvain* – c’était le nom du petit sapin – était fier de son nouvel habit blanc aux reflets bleutés.

Un jour, des hommes rudes et bruyants arrivèrent et, brutalement, le coupèrent du sol avec une scie, ainsi que ses frères et ses sœurs, ses cousins et ses cousines. Ils en firent un gros paquet et les emportèrent malgré l’indignation de leurs parents qui, ne pouvant ni bouger pour protéger leurs enfants, ni parler le langage des hommes pour les implorer de ne pas détruire leur famille, restèrent seuls, tristes et malheureux.
Sylvain, ses frères et sœurs, ses cousins et ses cousines, furent descendus en ville et déposés sur un trottoir devant un grand magasin tout illuminé et tout décoré. Il y avait beaucoup de monde. Parfois, une personne s’arrêtait, choisissait un petit sapin et l’emportait avec elle. C’est ainsi que Sylvain fut bientôt séparé de ses frères et sœurs, de ses cousins et cousines.

Il fut emporté dans un appartement, au dernier étage d’un immeuble, et fut mis dans un cagibi étroit et obscur.
C’était le soir. Sylvain pensa à ses frères et sœurs, à ses parents, et des larmes silencieuses coulèrent le long de ses aiguilles. Peu de temps après, épuisé par les émotions de la journée, il sombra dans un sommeil agité.
Il fut réveillé par des cris et des rires. La porte du cagibi s’ouvrit brusquement et deux petits enfants d’homme se précipitèrent, l’empoignèrent et l’emportèrent dans une grande salle vivement éclairée. Ils le déposèrent dans un coin en enfonçant son pied dans un trou à sa pointure pour qu’il tienne debout tout seul.
Puis, avec l’aide de leur maman, ils commencèrent à le vêtir de guirlandes or et argent, de grosses boules multicolores, de bougies et de flocons de coton blanc. Au sommet de sa tête pointue, ils placèrent une étoile filante scintillante.
Quand ils eurent achevé la décoration, les deux enfants et leur maman allumèrent mes bougies en chantant "Mon beau sapin, roi des forêts …"

Sylvain se sentit heureux car il avait retrouvé une famille. Il en oublia la montagne, ses parents, ses frères et sœurs, ses cousins et cousines.
La journée passa tranquillement, les parents occupés à préparer le repas de Noël et les enfants absorbés par des jeux calme. Sur le soir, chacun vint déposer à son pied une paire de souliers et une enveloppe sur laquelle on pouvait lire : Cher Père Noël, et on éteignit les bougies.

Très tôt le lendemain matin, les deux enfants firent irruption dans le salon, en pyjama et pieds nus et se ruèrent sur les paquets cadeaux qui avaient été déposés au pied de Sylvain pendant la nuit. Ce dernier n’avait rien vu, car il avait dormi profondément en faisant plein de beaux rêves.
Les paquets furent rapidement déchirés, rapidement éventrés, et les jouets rapidement déballés.
Les parents apparurent peu après, encore tout endormis, et ouvrirent à leur tour leurs paquets.
Tous semblaient enchantés de ce qu’ils avaient reçu. Les enfants jouèrent toute la matinée, tandis que les parents dressaient la grande table ronde au milieu du salon.

A midi, des invités arrivèrent avec les bras plein de cadeaux. Ce fut encore un grand déballage, puis des rires de bonheur et des embrassades. Ensuite après avoir allumé les bougies du petit sapin, tout le monde se mit à table et le repas se déroula dans la bonne humeur.
A la nuit tombante, les invités partirent. Les parents et les enfants débarrassèrent la table, donnèrent un coup de balai, s’installèrent dans le canapé et regardèrent la télévision. Au premier bâillement, tout le monde se leva et, après avoir éteint le poste, les bougies du petit sapin et la lampe du salon, tout le monde disparut par la grande porte du fond.

Sylvain resta seul dans le noir. Il fut envahi par une grande tristesse. Toute la journée, il avait été le plus heureux des petits sapins. Maintenant, il se sentait abandonné. Personne n’avait eu la moindre attention pour lui avant de quitter le salon.
Les jours qui suivirent furent moroses. Les enfants venaient parfois pour jouer, mais ils n’avaient aucun regard pour le petit sapin. Sylvain commença à déprimer et à s’étioler.
Un matin, la maman des enfants dit : « Le sapin perd ses aiguilles. Il faudra bientôt s’en débarrasser. »
Le soir même, le papa des enfants dévêtit le petit sapin de sa belle décoration, l’emporta, le descendit au bas de l’immeuble et le jeta sur le trottoir près des poubelles.

Sylvain s’abandonna alors au désespoir. Il serra ses petites branches contre son tronc afin de se protéger de la bise glaciale qui balayait la rue. Il pensa alors à ses parents, à ses frères et sœurs, à ses cousins et cousines, à la montagne et son manteau de neige. Il se dit que la vie était bien injuste et qu’il était bien trop jeune pour mourir. Il se dit aussi que les humains étaient ingrats, égoïstes et cruels. Il se laissa glisser peu à peu dans un profond engourdissement.
Il rêva qu’il s’envolait dans un ciel rempli d’étoiles et qu’il arrivait sur une montagne blanche et ensoleillée où l’attendaient ses parents, ses frères et sœurs, ses cousins et cousines, tout le peuple épicéa en habit blanc aux reflets bleutés.

Sylvain* : Une sylve est un bois, une forêt. Un sylvain était une divinité des forêts, dans la mythologie latine.

(Extrait de "L’oiseau du crépuscule et autres récits"
de Georges-Claude Grandjean, Editions Almathée ;
avec l’autorisation de l’auteur.)